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Les habitudes de travail changent, et c'est pour le mieux

L'un des principaux objectifs de notre équipe de recherche est de recueillir les avis des clients pour les transmettre aux équipes internes afin qu'elles puissent réinventer la façon de travailler. Le manifeste “Un avenir flexible” donne vie à nos recherches et engage une conversation sur l'évolution du monde du travail. Nous présentons de nouvelles approches flexibles en matière de collaboration, de créativité, d'innovation, de productivité et de bien-être au travail. Et ce n'est qu'un début.

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Il ne fait aucun doute que la décennie démarre de manière déconcertante. Partout dans le monde, les infrastructures en place pour protéger notre santé, nos sociétés et nos économies doivent être repensées de manière radicale. Ce que ces changements impliquent soulève des questions d'envergure mondiale sur nos habitudes de travail.

À Berlin, à Tokyo ou dans les canyons de Mill Valley en Californie, les environnements de travail les plus résilients seront ceux qui deviendront plus flexibles. Ces évolutions nous permettront de travailler où bon nous semble. Les emplois du temps seront plus variés, les employés trouveront de nouveaux moyens de se réunir, de collaborer et d'apprendre les uns des autres, le développement urbain sera lui aussi affecté, et réfléchir à sa carrière impliquera de nouvelles approches. C'est ce que nous appelons un “avenir flexible”.

Des lieux de travail flexibles

Auparavant, un lieu de travail flexible se traduisait par des bureaux ouverts avec des espaces communs et des salles de pause. Mais avec l'adoption grandissante du travail à distance, de plus en plus d'équipes vont pouvoir travailler de partout : dans un bureau partagé, sur la table de la cuisine, absolument partout.

Le télétravail n'est pas un phénomène nouveau. L'entreprise technologique Basecamp, par exemple, a adopté ce mode de travail il y a plus de 20 ans, elle a même publié un livre sur le sujet. De même, la société de développement de logiciels GitHub a plus de dix ans d'expérience avec ce mode de travail distribué. Elle partage d'ailleurs cette expérience avec les nouveaux adeptes dans des articles de blog. Le travail à distance, autrefois considéré comme une niche, est rapidement devenu une norme avec la pandémie de COVID-19. “Les entreprises ont compris qu'elles devaient adopter une stratégie distribuée pour parer à toutes les éventualités”, explique Kate Lister, présidente du cabinet-conseil Workplace Analytics, basé à San Diego.

Personne travaillant sur un ordinateur portable dans un café, illustrant ce qu'est un lieu de travail flexible
De nombreux employés ont indiqué être très satisfaits du travail à la maison, même en période de pandémie. Des entreprises comme Twitter et Hitachi ont normalisé le télétravail pour une durée indéfinie. Et cela a commencé à inquiéter les négociateurs immobiliers. Mais en toute vraisemblance, les bureaux sont là pour rester, même après la pandémie. “Le débat est pour le moment relativement binaire : la question est de savoir si, à l'avenir, tout le monde sera en télétravail ou tout le monde retournera au bureau. Mais à mon avis, nous nous dirigeons plutôt vers des modes de travail hybrides”, indique Annie Auerbach, cofondatrice de l'agence-conseil culturelle londonienne Starling, et auteure du livre Flex: Reinventing Work for a Smarter, Happier Life.
“Le débat est pour le moment relativement binaire : la question est de savoir si, à l'avenir, tout le monde sera en télétravail ou tout le monde retournera au bureau. Mais à mon avis, nous nous dirigeons plutôt vers des modes de travail hybrides”, indique Annie Auerbach, cofondatrice de l'agence-conseil culture de Londres Starling, et auteure du livre “Flex: Reinventing Work for a Smarter, Happier Life”.

Annie Auerbach

Auteure de “Flex: Reinventing Work for a Smarter, Happier Life”

Annie Auerbach, auteure de “Flex: Reinventing Work for a Smarter, Happier Life”
Les employés du secteur de l'information peuvent s'attendre à ce que leurs employeurs mènent quelques expériences en matière de lieu de travail dans les années à venir. Par exemple, certains pourraient proposer le télétravail pour les tâches qui demandent de la concentration et des bureaux partagés pour la collaboration en personne. “Nous réfléchirons aux moments où nous nous réunirons de manière beaucoup plus intentionnelle”, ajoute Annie Auerbach. Et plutôt que de définir de nouvelles normes à l'échelle des entreprises, ce sont les choix individuels qui primeront. “Mon degré de flexibilité optimal ne sera pas le même que le vôtre.”
Lisa Swerling de Last Lemon travaillant dans son studio chez elle en Californie
Lisa Swerling de Last Lemon travaillant dans son studio chez elle en Californie
Certains indépendants, comme les partenaires créatifs Lisa Swerling et Ralph Lazar de Last Lemon, n'ont pas attendu pour changer de lieu de travail. Originaire d'Afrique du Sud, ce couple marié est venu s'installer dans le comté de Marin, en Californie, où il crée depuis 20 ans des contenus illustrés et des œuvres d'art.
Il leur arrive de travailler chez eux dans leur atelier, et parfois, lorsqu'ils voyagent, ils peuvent travailler pendant des mois depuis le Botswana ou les Seychelles par exemple. De l'avis de Lisa Swerling, au début, se connecter à distance ressemblait à de la science-fiction. “On se disait, oh mon Dieu, on est sur une île minuscule au milieu de l'océan Indien. Comment c'est possible ?” Plus tard, après avoir déménagé aux États-Unis, ils ont été surpris par la facilité avec laquelle ils sont parvenus à garder le contact avec leurs partenaires européens. “C'était un peu déconcertant, que la distance ne fasse aucune différence.”
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Kate Lister, présidente de Global Workplace Analytics

Des horaires flexibles

L'une des conséquences les plus intéressantes du choix de son lieu de travail concerne les horaires. Terminés les horaires traditionnels : le travail distribué permet d'avoir des journées plus flexibles.

Pour de nombreuses équipes, une approche plus nuancée des horaires de travail ne peut pas intervenir du jour au lendemain. Sur son blog, l'un des pionniers du télétravail, l'entrepreneur du secteur technologique Matt Mullenweg, explique que lorsque les entreprises décident d'adopter le travail à distance, elles copient souvent un modèle “au bureau” et s'attendent encore à ce que leurs employés soient à leur poste pendant toute la journée. Il poursuit en indiquant que les entreprises plus évoluées, qui sont principalement en télétravail, adoptent des modes de travail asynchrones, en fonction des préférences des employés.

Lorsque l'employeur assouplit ses exigences horaires, quelque chose se produit : la culture du présentéisme se transforme en culture du résultat. “Ce ne sont pas les marathons qui nous réussissent le mieux, ce sont les sprints”, indique Kate Lister. “Nous savons que les gens sont mieux dirigés lorsqu'on leur donne des objectifs et qu'ils disposent des outils et de l'autonomie nécessaires pour les atteindre. Nous savons cela depuis les années 50, mais ce n'est pas la méthode qui a été retenue… Si le travail est fait, si ce sont les résultats qui comptent et si les employés réussissent, alors qu'importe quand ils travaillent !” Elle ajoute que, dans un modèle basé sur les résultats, les responsables doivent être capables de ne pas surveiller tous les faits et gestes de leurs employés, ce qui constitue un changement radical pour certaines entreprises.

Certains responsables, comme le vice-président du design chez Dropbox, Alastair Simpson, ont déjà adopté une approche du management basée sur la confiance qui favorise l'autonomie. “Si vous embauchez des gens incroyablement compétents et que vous essayez de leur dicter leur mode de travail de manière autoritaire, vous n'en tirerez pas le meilleur. Mais si vous leur donnez les objectifs et les outils adéquats, je pense que ces mêmes personnes effectueront un travail exceptionnel”, indique-t-il.

Alastair Simpson, vice‑président du design, Dropbox
Alastair Simpson, vice‑président du design chez Dropbox

Lorsque les employés contrôlent mieux leurs horaires de travail, ils sont plus productifs, et non l'inverse. “La crainte principale des employeurs, c'est qu'en donnant de l'autonomie à leurs employés sur leurs horaires, la productivité s'en ressentira. Mais il a été prouvé que cette crainte n'était pas fondée”, précise Annie Auerbach.

La difficulté pour les employés à distance est d'utiliser cette flexibilité à leur avantage : poser des limites, travailler lorsqu'ils sont les plus efficaces et ne pas tomber dans le piège de la connexion permanente. Comme l'explique Annie Auerbach, “il ne s'agit surtout pas de remplacer le présentéisme au bureau par du présentéisme numérique, de passer des horaires traditionnels à une présence en ligne 24h/24, 7j/7 : cela ne ferait que déplacer les mauvaises habitudes de l'ancien environnement de travail vers un nouvel espace plus flexible, pour prétendre que la flexibilité est totale”.

Nicolas Leschke, PDG et fondateur d'ECF Farmsystems

Nicolas Leschke, PDG de la start-up ECF Farmsystems basée à Berlin, indique qu'il a appris à définir des limites personnelles avec quelques astuces, comme éteindre son téléphone le soir et ne pas avoir sa messagerie professionnelle à portée de main sur son écran d'accueil. “C'est très difficile de se détacher du travail”, ajoute-t-il. “Mais je trouve que je m'en sors bien dans ce domaine. C'est quelque chose que j'ai dû apprendre avec le temps.”

Il est également dans l'intérêt des entreprises d'éviter le burn-out à leurs employés. “Le bien-être mental et physique des employés est absolument indispensable pour de bonnes performances”, indique Kate Lister. “Jusqu'à récemment, il était rare d'entendre parler de flexibilité, d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et de santé mentale au sein de la direction : c'est beaucoup plus répandu désormais.”

Comme l'explique Annie Auerbach, des horaires flexibles profitent à de nombreux employés : pas seulement aux parents, mais également à ceux qui s'occupent de proches âgés, à ceux qui ont d'autres centres d'intérêt et à ceux qui ont simplement besoin de plus de temps pour leur vie personnelle. “C'est une nouvelle façon de voir les choses : plutôt que de voir la flexibilité comme une nécessité à accepter à contrecœur, voyez-la comme la voie de l'avenir, un moyen d'attirer les meilleurs talents possibles, et une manière pour vos employés de se sentir épanouis et équilibrés.”

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Melanie Cook, directrice générale, Hyper Island APAC

Des outils flexibles

La bonne nouvelle, c'est que les outils destinés au travail distribué ne sont pas si différents des outils numériques que les entreprises utilisent déjà : il se trouve simplement qu'ils sont des outils essentiels pour le travail à distance. “Je parle des technologies de communication telles que Zoom ou Google Hangouts, mais aussi des technologies de collaboration telles que Dropbox. Nous ne pourrions pas travailler à distance sans elles”, affirme Melanie Cook, directrice générale de l'entreprise de formation Hyper Island

Elle indique avoir observé un nouvel optimisme quant au pouvoir des technologies qui seraient utiles aux employés et non plus une menace pour leurs emplois en raison d'une automatisation de masse. “Ces technologies éliminent le stress lié au trajet domicile-travail. Elles nous donnent plus de temps avec nos familles.”

“La pandémie de COVID-19 a été un véritable accélérateur de la transformation numérique, car nombre d'entreprises se sont vues forcées de faire passer en ligne une grande partie de leurs processus papier”, indique Whitney Bouck, directrice des opérations de l'entreprise de signature électronique HelloSign (une société Dropbox), qui permet aux équipes distribuées de signer des documents officiels sans avoir besoin de se trouver dans la même pièce. Cela inclut tous les types de documents : de la documentation pour les nouveaux employés aux contrats avec les fournisseurs. “Les entreprises ont besoin d'un moyen de continuer à signer ces accords importants en ligne, et avec notre outil, ce processus est simple et sécurisé”, affirme Whitney Bouck.

“Pour ce qui est de l'utilisation de ces outils technologiques pour renforcer la culture, je pense que le chemin est encore long. Nous n'y sommes pas encore.”

Kate Lister, présidente du cabinet-conseil Workplace Analytics basé à San Diego

Alors que les équipes adoptent des outils numériques de plus en plus variés pour la signature électronique, l'utilisation de tableaux blancs, la gestion de projets, le chat et d'autres activités collaboratives, les employés doivent pouvoir naviguer facilement de l'un à l'autre. Les outils commencent à proposer une meilleure intégration, pour fonctionner en harmonie et non entrer en compétition. Par exemple : en 2019, Dropbox a lancé Dropbox Spaces, conçu non seulement comme un espace de stockage, mais aussi comme un espace centralisé de collaboration et d'intégration avec d'autres outils tels que Slack, Zoom et Trello. “Notre solution devient plus orientée plateforme et workflow. Avec Dropbox Spaces, les équipes peuvent rassembler plusieurs fichiers provenant de différents emplacements dans un espace centralisé, pour collaborer de façon réfléchie. C'est une réelle évolution par rapport à ce qui a fait le succès de Dropbox à ses débuts”, explique Alastair Simpson.

 

À terme, les outils pour le travail numérique devront faire plus pour les équipes distribuées que de soutenir leur productivité ; ils devront répondre aux besoins émotionnels et créatifs d'une communauté dont les membres ne sont pas proches géographiquement. “Nous perdons un peu de la fantaisie liée à la proximité de nos collègues, de la créativité favorisée par une pause café impromptue, ou de l'inspiration qui peut nous venir lorsque nous jetons un œil sur l'écran d'un autre”, indique Fred Wordie, de l'agence de création The Kids basée à Berlin. Il a créé le générateur de bruits I Miss The Office pendant le confinement, un outil qui imite l'environnement sonore d'un bureau. Ce ne sont pas les sons en eux-mêmes qui font leur effet, mais les personnes qui en sont à l'origine. “C'est pourquoi beaucoup de personnes trouvent le site réconfortant.”

I Miss the Office de Fred Wordie

 

Créer des alternatives numériques pour ces moments informels et spontanés entre collègues ne sera pas une mince affaire. “Pour ce qui est de l'utilisation de ces outils pour renforcer la culture, je pense que le chemin est encore long. Nous n'y sommes pas encore”, indique Kate Lister.

Une grande partie des équipes distribuées s'appuient actuellement sur les appels vidéo, les messages et les fils de discussion pour développer une culture d'entreprise. À terme, de nouveaux outils et fonctionnalités favoriseront des rencontres plus variées et fortuites au sein de l'entreprise. 

 

Des relations flexibles

Plutôt que d'essayer de reproduire trait pour trait la culture du bureau, le travail distribué sera plus efficace s'il s'appuie sur les nouvelles dynamiques d'un environnement numérique.

Une structure pensée pour le télétravail facilitera sans aucun doute la connexion entre les employés à grande échelle. Par exemple, The Go Game, une entreprise spécialisée dans la cohésion d'équipe qui organise des événements hybrides et en présentiel pour les équipes depuis 2001, propose désormais une plateforme virtuelle capable d'offrir la même expérience à plus de 1 500 personnes simultanément dans le monde. “Notre objectif premier est de créer une expérience virtuelle qui supprime la distance entre les employés en télétravail”, indique Ian Fraser, cofondateur et PDG. “Les entreprises ont besoin d'une solution qui relie les utilisateurs de manière authentique, inclusive et dynamique.”

Michael Franti, participant à The Go Game
Combler les fossés géographiques permet également d'adopter des pratiques de networking, de mentoring et d'embauche favorisant davantage la diversité et l'inclusion. FREE THE WORK, une initiative à but non lucratif basée à Los Angeles, propose une base de données interrogeable et une plateforme de contenus incluant le travail de créateurs sous-représentés. Son objectif est de les rendre plus accessibles aux entreprises du secteur de la télévision, du cinéma et de la publicité du monde entier. “Nous pensons qu'en allant à la rencontre de talents qui ont toujours été sous-représentés, nous assisterons à une renaissance de la créativité qui sera bénéfique pour le monde entier. La représentation est importante”, explique l'équipe FREE THE WORK. “Des récits authentiques font partie de cette expérience. Nous devons laisser la place à plus d'histoires, en n'oubliant personne.”
Table ronde Free the Work

À certains égards, la communication à distance réduit également les préjugés entre collègues qui se côtoient tous les jours. Kate Lister indique que la communication virtuelle peut réduire la pression hiérarchique, donnant aux introvertis et à d'autres une voix plus équitable. “Cela met vraiment tout le monde à égalité, tout le monde peut donner son avis.” 

Comme l'explique Annie Auerbach, l'idée selon laquelle les liens se créent plus facilement dans un environnement de bureau ne constitue que la partie émergée de l'iceberg. “Il y a la crainte qu'en travaillant à la maison, nous soyons isolés et que nous ne nous sentions pas intégrés. Là où je veux en venir, c'est que nous avions la même crainte quand tout le monde a commencé à porter des écouteurs au bureau. Le problème ne vient pas du travail à distance, mais de la communication à distance.” Instiller de la confiance entre les membres d'équipe dépend en fait moins de l'utilisation d'outils ou de plateformes spécifiques que des pratiques qui nous rendent fondamentalement humains. Des réunions amicales ou des activités régulières pendant lesquelles les membres de l'équipe apprennent à mieux se connaître peuvent être une solution.

Kate Lister ajoute : “Les études indiquent que nous n'avons pas besoin de beaucoup de temps en face à face pour maintenir des liens de confiance. Et la plupart des entreprises virtuelles organiseront peut-être des rencontres une ou deux fois par an où le seul objectif sera de passer du temps entre collègues de manière informelle. Ces réunions sporadiques semblent suffire pour garder un niveau de confiance élevé.”

Melanie Cook explique que son équipe a pris l'habitude de se réunir virtuellement deux fois par jour pendant le confinement. La réunion du matin est stratégique, et celle de l'après-midi est informelle, remplaçant ce qui aurait pu être auparavant une simple rencontre dans le couloir. “Nos discussions de l'après-midi sont souvent aléatoires. On prend juste des nouvelles les uns des autres.”  

Des villes flexibles

La journée de travail devient de plus en plus flexible, et cela pourrait avoir un impact sur le paysage urbain.

Une foule de facteurs vont influencer les environnements personnels et professionnels des employés. Par exemple, quitter sa ville natale pour de meilleures opportunités économiques dans une grande ville appartiendra peut-être bientôt au passé. Goy Zhenru, de Goy Architects, un petit cabinet d'architectes dont les trois partenaires sont basés à Singapour, en Indonésie et en Thaïlande, explique que leur travail s'organise autour de leur vie personnelle. Chaque partenaire vit près de sa famille et de ses amis, et tout est coordonné dans le cloud.

Dessy Anggadewi de Goy Architects travaillant dans son jardin à Jakarta

Les villes où la vie est devenue chère en raison de la migration massive de travailleurs pourraient connaître un peu de répit, car les employés commencent de plus en plus à privilégier la banlieue ou la campagne, où les propriétés offrent un accès à la nature et sont suffisamment grandes pour accueillir un bureau. Certaines communautés vont même peut-être pouvoir revitaliser leur économie. “Il y a des endroits dans le pays et dans le monde qui recrutent activement des employés à distance et qui les forment, qui forment les travailleurs locaux pour qu'ils soient de bons candidats au télétravail et qui, dans certains cas, offrent même une prime de relocalisation”, indique Kate Lister. “Ils ont désespérément besoin de renouveler les types d'emplois dans leur économie.”

Les villes comptant de nombreux employés flexibles vont s'organiser différemment, repenser les trajets traditionnels entre leurs zones résidentielles et commerciales. C40 Cities, un réseau mondial de villes qui s'efforcent de lutter contre le réchauffement climatique, veut construire un monde dans lequel tout ce dont vous avez besoin est accessible dans un rayon de 15 minutes. Un développement urbain mixte, où les résidences, les bureaux, les magasins et les lieux de divertissement se mélangent, pourrait même être bénéfique pour le travail en lui-même, comme l'a observé Goy Zhenru dans son cabinet. “Je découvre de nouvelles choses quand je sors explorer l'environnement autour de moi : pour voir, toucher, sentir, vivre et communiquer avec la communauté. Je pense que pour être une meilleure designer, il faut aller au contact de ce qui m'entoure”, indique-t-elle.

Présentation vidéo sur les villes où tout est accessible en 15 minutes

Des villes où tout est accessible en 15 minutes

1,5 min

Annie Auerbach imagine de nouvelles configurations de travail, comme un espace communautaire où les employés appartenant à différents secteurs et groupes d'âge pourront faire leur travail dans un environnement partagé vivant et dynamique. “Avoir de l'autonomie ne signifie pas nécessairement être seul”, explique-t-elle. Elle imagine un environnement plus diversifié et plus communautaire que les espaces de coworking actuels. Après tout, la population vieillit dans de nombreuses régions du monde, et l'idée d'abandonner la vie active à un âge fixe pourrait changer. Annie Auerbach explique : “S'arrêter de travailler à un certain moment pour se mettre à la retraite devient de moins en moins courant”. Elle remarque que les personnes plus âgées se lancent dans de nouvelles entreprises plus tard dans leur vie.

Des individus flexibles

L'avenir des travailleurs individuels impliquera des approches professionnelles à la fois réactives et proactives.

Il s'agira de réagir face à l'essor de l'automatisation de masse : où la technologie et l'intelligence artificielle rempliront des rôles traditionnellement réservés aux êtres humains. L'artiste et conceptrice multimédia Carrie Sijia Wang explore les implications potentielles de ce phénomène dans son expérience dystopique “An Interview with ALEX”, qui simule un entretien d'embauche avec une intelligence artificielle responsable des RH. “Cette expérience a pour objectif de mettre en évidence les problèmes qui pourraient survenir si on laissait la technologie nous remplacer sans en comprendre totalement le fonctionnement, sans savoir pour qui elle travaille réellement, sans en connaître les conséquences, ni ceux qui devront en payer le prix”, clarifie Carrie Sijia Wang.

Carrie Sijia Wang, artiste et conceptrice multimédia

Certains postes disparaissent, et de nouveaux rôles vont certainement voir le jour. D'après un rapport Dell Technologies, The Institute for the Future prévoit que 85 % des postes occupés en 2030 n'ont même pas encore été inventés. L'humanité sera de moins en moins essentielle pour les tâches répétitives, mais de plus en plus recherchée pour les compétences intrinsèquement “humaines”, comme l'esprit critique et la collaboration. Melanie Cook prédit une “urgence mondiale en matière de développement des compétences” : les employés devront être formés pour ces emplois de demain.

Annie Auerbach ajoute : “Nous devons en fait nous former tout au long de notre vie. Les connaissances ne peuvent pas être acquises d'un bloc, car les technologies évoluent, les compétences également, et nous devons sans cesse nous améliorer, apprendre et réapprendre tout au long de notre existence.” Des formations accélérées apparaissent déjà en réponse à ces besoins de carrière qui évoluent, comme les Google Career Certificates.

S'adapter à ces nouvelles circonstances implique que de nombreuses carrières ne pourront plus évoluer en pilote automatique. Il faudra peut-être adopter une approche plus proactive, explorer et changer de voie pour trouver la bonne. Annie Auerbach dit s'attendre à “des carrières plus décousues, où les déplacements se feront horizontalement ou diagonalement vers différents domaines. Certains feront des pauses pour voyager. Certains s'arrêteront pour se former avant de retourner dans le monde du travail. Et ces différentes approches se mêlent encore plus à mesure que nous avançons.”

Même au Japon, où les entreprises appliquent traditionnellement une politique d'emploi à vie, les gens commencent à envisager leur carrière avec plus de souplesse. Basée à Tokyo, En Factory fournit un service qui permet aux entreprises d'aider leurs employés à décrocher et à garder un deuxième emploi au sein de l'entreprise et au-delà. “Ce type d'emploi est de mieux en mieux accepté, car les employés gagnent en expérience et en compétences”, indique Masaki Shimizu, directeur des activités chez En Factory. Il voit ces emplois secondaires comme une situation gagnant-gagnant pour les entreprises et leurs employés. Les entreprises tirent parti des nouvelles compétences que leurs employés développent, et les employés élargissent leurs perspectives de carrière. Masaki Shimizu affirme que la plupart des employés de En Factory ont des emplois annexes, allant de la conception de sites Web à la distribution de vêtements pour chiens. Il a lui-même quatre emplois, dont l'un implique la gestion d'un café à hérissons. Il explique que son approche du travail était très inhabituelle lorsqu'il a commencé ses petits boulots en 2012 : il a même fait l'objet de reportages. Mais à présent, suffisamment de monde l'a imité pour qu'il partage conseils et bonnes pratiques.

 

Masaki Shimizu chez ChikuChiku, son café à hérissons à Tokyo

Le travail en indépendant et l'entrepreneuriat continueront d'être plus risqués et moins stables que les postes traditionnels à temps plein. Ces travailleurs auront donc besoin de meilleurs filets de protection sociale. Il existe par exemple Alia, une plateforme mobile pour les avantages sociaux des employés de maison tels que les aides ménagères ou les nounous. Plusieurs employeurs ou clients peuvent contribuer aux avantages Alia d'un travailleur, qui peuvent inclure des congés maladie payés et l'accès à des produits d'assurance comme l'assurance vie. “Il y a tellement de personnes qui travaillent plus de 40 heures par semaine et qui n'ont aucune protection, parce que ces 40 heures peuvent être réparties sur 40 sites différents et donc 40 employeurs”, explique Palak Shah, directrice et fondatrice de NDWA Labs, l'entreprise à l'origine d'Alia. “Alia est un précurseur pour l'avenir du travail ; nous savions que si nous pouvions résoudre ces problèmes pour les aides à domicile, nous pourrions les résoudre pour chaque travailleur.”

Le couple d'artistes Lisa Swerling et Ralph Lazar a emprunté les mêmes méandres auxquels beaucoup vont être confrontés : “Ce que nous trouvons intéressant dans notre histoire, quand on sait où elle nous a menés, c'est qu'elle est parsemée d'échecs”, indique Lisa Swerling. “Et c'est hilarant, et c'est exaltant, car tout d'abord, nous sommes des optimistes nés. On ne pourrait pas faire ce qu'on fait sans optimisme, on ne pourrait pas continuer. Il faut sans cesse se réinventer.”

Le couple d'artistes Lisa Swerling et Ralph Lazar

Au bout du compte, les gens continueront à chercher un but et une satisfaction dans le travail, même si le chemin pour y parvenir s'avère plus tortueux. Nicolas Leschke, de ECF Farmsystems, décrit ce sentiment d'accomplissement dans son rôle actuel : “Vous êtes dans les limites de la ville ; vous avez un emploi vert, ce qui est très satisfaisant ; vous travaillez avec la nature. Ce qui est bon pour la planète est bon pour nous.”

Goy Zhenru, de Goy Architects, explique que leur modèle de travail flexible leur permet de ralentir et d'évoluer progressivement, pour travailler de la manière la plus ciblée possible. “Nous sommes encore en train d'expérimenter et de déterminer ce que nous devrions faire pour l'architecture, nous réfléchissons constamment à ce que nous pourrions apporter de bénéfique à la communauté et à l'environnement. Nous pouvons prendre le temps de réfléchir, mais nos pratiques sont agiles, et nos projets peuvent avoir un impact.”

Goy Zhenru, architecte principale chez Goy Architects

Melanie Cook suggère d'envisager toute votre carrière sous un angle “progressif”, par opposition à des comportements de panique dus à la réponse combat-fuite que nous donnons face aux événements qui surviennent dans le monde. Elle recommande de “se donner le temps de vraiment planifier sa carrière et de prévoir quelques tentatives afin de trouver la voie faisant le plus sens”.

Kate Lister espère que les lieux de travail trouveront de meilleurs moyens d'identifier et de mettre à profit les compétences, les centres d'intérêt et les points forts des personnes. “C'est seulement à partir de là que les performances seront optimales”, explique-t-elle.

À terme, des approches flexibles de l'avenir du travail nous permettront de faire face à ce qu'il nous réserve, de faire du bon travail et de nous adapter. Un avenir flexible devra être synonyme de détermination face à l'adversité. Comme le dit Melanie Cook : “Nous voulons être optimistes et considérer que l'humanité a une résilience incroyable. Elle sait s'adapter à souhait”.

Un avenir flexible nous permettra également de nous concentrer de manière proactive sur ce qui nous importe le plus. L'évolution des conditions de travail sera l'occasion pour nous de trouver de meilleures façons d'équilibrer nos priorités : nos passions, les personnes que nous côtoyons ou les choix professionnels qui ont du sens et qui en valent la peine. Nous devons nous assurer que tous les aspects de la vie d'une personne trouveront un moyen de s'exprimer et de prospérer, et que le résultat sera bénéfique aussi bien d'un point de vue professionnel que personnel. Parce que comme l'explique Annie Auerbach, “il y a toujours une histoire personnelle derrière le choix de travailler de manière flexible”.

Une meilleure façon de collaborer existe.

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